17 juin 2021#9


Apprenez le breton, vous deviendrez bons en maths !

Bonjour,
Bienvenue dans ce 9e épisode de L’AntiÉditorial ! Cette semaine, je me penche sur un sujet qui fait débat : lenseignement des langues régionales. Des mathématiques en breton ? De la géographie en créole ? Quelle drôle d’idée…



Il y a quelques jours, des manifestations ont eu lieu un peu partout en France. Enfin, pas partout : à Bastia, à Bayonne, à Guingamp ou encore à Colmar… Il s’agissait de défendre l’enseignement des langues régionales et plus particulièrement l’enseignement immersif. Il serait menacé de mort. C’est quoi ce pataquès, ou ce pastis, comme on dit en bon français à partir du provençal ? L’AntiÉditorial va vous expliquer une idée très décoiffante en France, mais tout à fait banale dans d’autres pays.

Des maths en basque ?

L’enseignement immersif, c’est quand l’instituteur ou la prof de géo fait cours en breton ou en basque, et pas en français. En France, ce concept s’est développé depuis une vingtaine d’années à travers des écoles privées, des structures associatives, comme les écoles Diwan en Bretagne ou les Calandretas en Occitanie. Or, une récente décision du Conseil constitutionnel met ces écoles dans l’illégalité. Soyons francs, ce réseau représente une goutte d’eau dans l’océan de l’éducation nationale. Disons 14 ou 15 000 élèves. Le Conseil constitutionnel a donc pris un marteau pour écraser une mouche.

C’est quoi l’embrouille ?

En apparence, l’affaire commence calmement. Un député breton, Paul Molac, dépose une proposition de loi pour favoriser l’enseignement des langues régionales, et en particulier leur financement public. Il veut donner un coup de pouce à ces écoles associatives où l’on transmet le corse, le catalan ou l’alsacien. Et voici sa loi adoptée par l’Assemblée à une assez nette majorité. Seulement, alors que le député Molac est macroniste, sa proposition a été votée contre l’avis du gouvernement. Et certains de ses collègues ont saisi le Conseil constitutionnel. Ils refusent que le monopole du français soit entamé, et estiment que cela menace l’unité nationale. Ils s’appuient sur l’article 2 de la Constitution : « La langue de la République est le français ». 

Or la Constitution comprend en fait deux articles qui, soyons francs, disent un peu le contraire l’un de l’autre et qui le font exprès. L’article 2, ça veut dire que vous ne pouvez pas vous adresser en corse à votre inspecteur des impôts. Et que le gendarme ne peut pas vous verbaliser en picard. Mais l’article 75-1 dit ceci : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». Il a été ajouté pour favoriser la conservation de ces langues, pour trouver un compromis entre les partisans sourcilleux de l’unité nationale et les défenseurs résolus des langues minoritaires. Pris entre ces deux feux, le Conseil constitutionnel a bel et bien censuré une partie de cette loi Molac. En particulier l’article qui prévoit la reconnaissance des écoles en langue immersive. Non seulement il n’est plus question de les financer avec de l’argent public, mais en toute logique, elles devraient fermer.

Immersif, quésaco ?

Plongeons-nous dans l’immersion. Je vous le disais, c’est simple : on fait l’école dans la langue minoritaire. Par exemple, on apprend les maths en occitan, on fait le conseil de classe en occitan. Vous trouvez ça bizarre ? Eh bien, figurez-vous que c’est déjà une méthode prônée par l’Éducation nationale ! Mais pour apprendre… l’anglais. Quand un lycéen est inscrit en section européenne, la prof d’histoire, par exemple, fait son cours en anglais alors que les élèves sont français. Sauf que le jargon du ministère le cache habillement. Il n’appelle pas cela « enseignement immersif » mais « DNL », pour « discipline non linguistique »…

Encore plus cocasse : tous les lycées français à l’étranger reposent sur la pédagogie immersive. Car tous les cours y ont lieu en français, dans des pays où le français est pourtant, en général, une langue étrangère. Et ces établissements ont beaucoup de succès ! C’est exactement la même démarche quand on apprend à parler créole ou picard à nos petits Français de France, qui vivent dans un pays où ni le créole ni le picard ne sont des langues officielles.

Mais ça sert à quoi ? 

La pédagogie immersive, ça sert d’abord à empêcher la disparition d’une langue minoritaire, à entretenir un bassin de locuteurs suffisamment consistant, en un mot à la maintenir vivante. Prenons le cas du Pays basque. Des deux côtés des Pyrénées d’ailleurs, même si les réalités sont un peu différentes. En une génération, le pourcentage de jeunes de 16 à 25 ans parlant le basque aussi souvent ou plus souvent que le français ou l’espagnol a pratiquement doublé, de 11 à 20 %. Dans le même temps, il diminuait lentement mais sûrement chez les personnes âgées. 20 %, c’est peu et c’est beaucoup. Ni l’espagnol ni le français ne disparaissent. Mais le basque sort de la zone de danger, il n’est plus une langue en voie de disparition, il demeure une langue vivante.

Et les notes ?

Oui, me direz-vous, mais est-ce que le bilinguisme ne nuit pas aux résultats scolaires ? Le plus grand linguiste italien, Tullio De Mauro, un immense savant, connu dans le monde entier, avait étudié la question. Un enfant qui parle un dialecte à la maison, mettons le toscan ou le sarde, un enfant qui parle le franco-provençal, qui est la langue du Val d’Aoste, un enfant qui parle chez lui l’allemand, autre langue régionale en Italie, réussit-il mieux ou moins bien ? L’AntiÉditorial a retrouvé et consulté cette étude, qui sera d’ailleurs bientôt traduite en français. Elle est claire. « Les enfants qui ne parlent constamment que l’italien ont des scores moins brillants que les enfants qui ont également un certain rapport avec la réalité dialectale. » Exactement le contraire de ce que l’on aurait intuitivement pensé.

Mais si l’on fait le contraire ? Si mon enfant vit dans une société où l’on parle français, mais qu’il étudie en alsacien ? Est-ce que cela va le handicaper ? Est-ce qu’il va moins bien réussir au lycée ? Intuitivement, on a envie de dire oui. On a mis de l’énergie, on a passé du temps pour se plonger dans l’apprentissage d’une langue régionale, c’est autant de perdu pour le français ou les maths. Eh bien, surprise ! Ce n’est pas du tout le cas. C’est même plutôt le contraire. Un exemple ? Si l’on en juge par les résultats du bac, le lycée Diwan de Carhaix figure parmi les meilleurs établissements de son académie, l’académie de Rennes.

Au Canada, cet enseignement en immersion ne fait pas débat. Oui, le français au Canada bénéficie de cette immersion qui fait peur aux Français en France ! Et là-bas, on ne parle pas de « langue régionale » ou de « langue minoritaire », mais de « langue seconde ». La première école a ouvert au Québec dès 1965. Depuis, les enquêtes sont limpides. L’immersion s’avère favorable à l’apprentissage du français. C’est la moindre des choses !

Mais elle ne nuit pas à la connaissance de l’anglais. Une étude Pisa (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) l’a démontré : aux examens de lecture en anglais, les lycéens en immersion française réussissent mieux que leurs camarades qui font leurs études en anglais ! Et ils réussissent aussi bien, voire mieux, aux examens de mathématiques, alors même que les sujets de maths sont donnés en anglais ! Tout cela figure noir sur blanc dans un rapport canadien de 2007. Des tests comparables ont donné les mêmes résultats à propos du gaélique en Écosse.

En somme, ces enfants sont plus stimulés intellectuellement, plus agiles peut-être. Un peu comme si vous faites de la natation, du ski ou du vélo et que vous pratiquez parallèlement un autre sport pour vous muscler. Au pire, vos performances ne progressent pas. Au mieux, elles s’améliorent. L’enfant ou l’adolescent apprend à mieux résoudre les problèmes, y compris donc scientifiques, parce que son cerveau est mieux entraîné à repérer puis à se concentrer sur l’information pertinente. Allez, adishatz !



Proposition de loi déposée par Paul Molac (2019)

Article France Bleu sur la classe immersive (2017)

Rapport canadien (2007)

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Crédits photos : © Stéphane Grangier, © DR