27 janvier 2022#32


Chine : la fin d’une superpuissance ?



La Chine est-elle déjà finie ? L’affirmation peut surprendre, alors que tous les indicateurs montrent que l’Empire du Milieu est en train de devenir la superpuissance du XXIᵉ siècle. Mais ces derniers temps, certains observateurs ont émis des doutes sur cette superpuissance. L’AntiÉditorial s’est intéressé à leurs arguments…

Où sont les bébés ?  

Le premier signe de fragilité de la Chine, c’est la natalité. Vous le savez, lorsque ce pays était très pauvre et très communiste, il a mis en place un strict contrôle des naissances. C’était la politique de l’enfant unique. Impossible d’avoir une famille nombreuse. Très difficile d’avoir ne serait-ce que deux enfants. Cette politique a été menée à coups de contrôle, de sanctions et même d’avortements forcés. Et elle a si bien réussi qu’elle est entrée dans les mœurs. Maintenant que la Chine est riche, les couples ne veulent plus faire d’enfants. Notamment parce que les études et le logement coûtent trop cher. Ou parce qu’ils pensent d’abord à leur propre confort ou à leur carrière. Les mariages sont en chute libre, les divorces en augmentation, et les naissances hors mariage difficilement envisageables.

En 2016, les Chinois ont été autorisés à avoir deux enfants, puis trois en 2020. Mais peine perdue, ils n’en ont pas profité. L’enfant unique, objet de toutes les attentions familiales, est devenu le modèle écrasant. Le taux de natalité serait tombé à 8,52 pour 1000, au plus bas depuis que le régime existe.

Même si les statistiques sont à prendre avec des baguettes, la tendance est claire. La Chine se rapproche du Japon, pays sans enfants, enfoncé depuis trente ans dans un certain marasme. À titre de comparaison, l’Afrique conserve des taux de natalité autour de 33 pour 1000, l’Inde de 18 pour 1000. La France, qui ne va pourtant pas très fort, reste autour de 11 pour 1000.

Bien sûr, il y a déjà eu de grands creux dans l’histoire de la Chine communiste. Mais justement, s’il faut comparer, c’est avec des périodes de crise. Notamment les famines causées par le Grand Bond en avant et le chaos de la Révolution culturelle…

Un pays à la retraite

La chose est d’autant plus spectaculaire que, parallèlement, le pays vieillit beaucoup plus vite que prévu. On comptait 13 % de plus de 60 ans il y a dix ans. 18,7 % aujourd’hui. Et on n’a encore rien vu ! D’ici une douzaine d’années, un Chinois sur trois devrait avoir passé les 60 ans.

Moins de bébés, plus de vieux : la population devrait décliner dès 2029, c’est-à-dire demain. À ce rythme, à la fin du siècle, la Chine ne compterait plus que la moitié de sa population actuelle.

Le changement est spectaculaire, et il est relativement rapide. Les enfants du baby-boom atteignent l’âge de la retraite. Les conséquences sont importantes et si l’on compare avec le Japon voisin, elles sont connues d’avance : les frais de santé explosent ; le rapport entre actifs et inactifs se dégrade ; le dynamisme de l’économie ralentit ; la croissance s’affaiblit.

Même si elle dispose encore d’importants réservoirs de main-d’œuvre dans ses campagnes, même si elle gagne en productivité, les faits sont les faits. La Chine devrait perdre 20 % de ses travailleurs d’ici le milieu du siècle. Et contrairement à l’Europe, il est peu probable qu’elle les remplace par des migrants.

Enfin, au-delà des chiffres, il y a la psychologie collective et ses effets politiques. Un gouvernement contraint de reculer l’âge de la retraite se rend rarement populaire. Un pays qui vieillit voit baisser son ardeur belliqueuse.

Il n’y a pas que les bébés !

Chaque année, le Lowy Institute, un cercle australien de sensibilité conservatrice, établit son « Asia Power Index ». Il s’agit de l’indice de la puissance des pays asiatiques. Cette puissance est définie comme la capacité d’un État à diriger ou à influencer le comportement d’autres États ou d’acteurs non étatiques. Et aussi sa capacité à peser sur le cours des événements internationaux.

L’Asia Power Index cherche à mesurer comment les pays de la région façonnent leur environnement extérieur ou jusqu’à quel point ils le subissent. Or, selon l’édition 2021, l’influence de la Chine décline, tandis que celle des États-Unis repart à la hausse. La capacité militaire ou économique progresse encore. Mais l’influence diplomatique et culturelle marque le pas. La Chine séduit moins et inquiète davantage.

L’un des indices de cette fragilisation, c’est la relation sino-africaine, ce que d’aucuns appellent le « Chinafrique ». Elle demeure très puissante. D’ailleurs, Pékin a fait du vaccin anti-Covid un nouveau levier diplomatique. Mais sur le terrain, dans de nombreux pays, la population est revenue de bien des enthousiasmes initiaux. L’heure de la fin des illusions a sonné. Un point d’interrogation ponctue désormais les promesses. Un indice : le gouvernement chinois lui-même veut remplacer les belles intentions et les grands chantiers d’infrastructure par de « petits projets ».

Xi, l’homme pressé

Vous me direz : l’économie va très bien. Oui, mais il y a… des mais ! Le surendettement du géant de l’immobilier Evergrande menace de ruiner des milliers et des milliers de personnes et d’ébranler la stabilité de l’économie, comme la faillite de Lehman Brothers aux États-Unis en 2008. L’incroyable réseau géant de lignes à grande vitesse n’est pas rentable. Les défis climatiques et écologiques sont nombreux. Tendanciellement, la croissance ralentit, les salaires augmentent, et les entreprises occidentales cherchent désormais des pays où l’on fabrique moins cher.

Ces indices, ces signaux faibles, pourraient expliquer en partie l’agressivité actuelle de la Chine. Le président Xi est pressé, car il connaît la situation que j’évoque. Il sait que son pays a devant lui dix ou vingt ans pour établir sa domination sur la scène internationale, avant d’atteindre un palier, voire un plafond. La revue américaine Foreign Affairs évoque le « pari de Xi ». Le nouvel empereur « est impatient face au statu quo, possède une grande tolérance au risque et semble éprouver un sentiment d’urgence prononcé à remettre en question l’ordre international ».

Pourquoi est-il si pressé ? Jude Blanchette, titulaire de la chaire Freeman d’études sur la Chine au Centre d’études stratégiques et internationales de Washington, avance une explication. Les calculs de Xi sont déterminés « non pas par ses aspirations ou ses craintes, mais par son calendrier ». Si Xi a consolidé autant de pouvoir et bouleversé le statu quo avec autant de force, c’est parce qu’il voit « une fenêtre étroite de dix à quinze ans ».

Durant cette période, Pékin doit à tout prix tirer parti d’un ensemble de transformations économiques, scientifiques et géopolitiques, qui l’aideront également à surmonter d’importants défis internes. Il mise donc sur le contrôle du parti, la reprise en main des grandes entreprises, mais aussi sur l’innovation technologique. Notamment l’intelligence artificielle, la robotique et l’ingénierie biomédicale. Quinze ans, donc, pour faire la différence et dominer le monde. Après, la Chine aura mangé son riz blanc…

 



Article publié dans le journal La Croix. (2021).

Article publié dans le journal Le Monde. (2021).

Article publié dans le magazine Foreign Affairs. (2021).

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Crédits photos : © Stéphane Grangier @ Dann Cortier / Benelux Pix / MaxPPP