25 novembre 2021#26


Et si on supprimait les mutuelles ?



Faut-il supprimer les mutuelles ? L’idée semble taboue, voire loufoque. Et pourtant, c’est en train de devenir l’un des thèmes de la campagne présidentielle…

Une cuisine typiquement française  

La France a un système original, sinon unique au monde. Vous le savez, nos frais de santé sont pris en charge par une double structure. D’un côté, il y a l’Assurance maladie obligatoire, la « Sécu ». De l’autre, la complémentaire santé, en particulier les mutuelles, qui couvrent 35 millions de Français.

Et c’est un système qui est à la fois double et mixte. Chacune des deux parties, la Sécu et la mutuelle, rembourse les mêmes soins. Typiquement, 70 % pour la Sécu, 30 % pour la mutuelle. Et quand l’une ne rembourse pas, l’autre non plus. Ailleurs dans le monde, les systèmes complémentaires financent des soins qui ne sont pas pris en charge par la Sécurité sociale. Et souvent, ils ne le font qu’au-dessus d’un certain plafond de dépenses, qui varie selon vos revenus. Un peu comme une franchise automobile en cas d’accident. C’est le bouclier sanitaire. Il est en vigueur en Allemagne.

Quel est le problème ?

Vous me direz : quel est le problème ? Pourquoi cette manie de lorgner sur les voisins puisque ça nous plaît ? Mais la critique des mutuelles est récurrente. Elle est même au cœur d’un récent rapport de la Cour des comptes. Les magistrats financiers trouvent le système coûteux, en raison d’importants frais de fonctionnement. Évidemment, les mutuelles n’apprécient pas cette critique et contestent le calcul.

Deuxième reproche : la Cour des comptes trouve le système des complémentaires « inégalitaire ». Il favorise les salariés du secteur privé par rapport aux fonctionnaires ou les actifs par rapport aux inactifs. Les personnes âgées, « du fait des pratiques de tarification à l’âge, doivent s’acquitter de cotisations élevées ».

Retraités, chômeurs et inactifs sont lésés par ce système hybride. Mais les personnes les plus pauvres le sont aussi, malgré tous les efforts pour leur assurer une meilleure couverture. Du coup, constate la Cour des comptes, « les renoncements aux soins persistent, malgré un état de santé pourtant plus dégradé proportionnellement au reste de la population ».

Jean-Charles Simon, un économiste libéral, reprend l’argument financier classique. Dans une tribune publiée par Les Échos, il accuse les mutuelles d’être structurellement coûteuses : « Les mutuelles font supporter aux ménages quelque 8 milliards de frais de gestion de toute nature. » Comme le dit la Cour des comptes, « la forte imbrication des assurances maladies de base et complémentaire se traduit par des coûts de gestion nettement supérieurs aux autres pays européens ». L’entretien de l’usine à gaz a un prix !

Deuxième critique : certes, les complémentaires santé sont en concurrence. Mais la concurrence n’est qu’apparente, alors que la réglementation « standardise l’offre », qui est très peu différenciée. Les mutuelles sont en réalité interchangeables. On a donc les inconvénients de l’usine à gaz, sans les avantages de la compétition sportive. Brigitte Dormont, professeure à l’université Paris-Dauphine, estime que ce système à double détente « freine des évolutions souhaitables, comme la généralisation du tiers payant ou un paiement plus qualitatif des médecins ». Dans une autre tribune, cette économiste avance un argument massue, dont nous avons tous fait l’expérience avec le Covid : « Ce n’est pas un hasard si, durant la crise sanitaire, par souci d’efficacité, le remboursement des soins les plus urgents a été garanti à 100 % par l’Assurance maladie : tests, vaccination, téléconsultations. » Il est donc impératif de mieux séparer les domaines d’intervention.

Quelle est la solution ?

Alors, on supprime ? Dans le jargon des hauts magistrats, voici la réponse : « La Cour n’a pas souhaité trancher entre des options qui peuvent changer le rôle des acteurs publics et privés et modifier la liberté de choix des assurés. » Pas besoin de traduire en français courant, vous avez compris ! La Cour des comptes ne veut pas s’aventurer sur le terrain politique. Elle fait un constat. Mais elle ne va pas jusqu’à préconiser de supprimer les mutuelles.

Toutefois, la Cour conseille au moins de « désimbriquer les interventions respectives de l’Assurance maladie obligatoire et de l’assurance complémentaire ». Autrement dit, chacun des deux systèmes rembourserait des soins différents.

Mais d’autres experts vont plus loin. La solution, c’est ce que l’on appelle désormais « la grande Sécu ». Qu’est-ce que la grande Sécu ? C’est l’absorption des mutuelles par le système de la Sécurité sociale. Une seule cotisation, un seul guichet, une seule couverture sociale. La même pour tous, évidemment.

Ça sent bon la campagne

Tribunes, rapports, et éditos… tout cela, il faut bien le dire, sent la bonne odeur de la campagne. Non ! Je ne parle pas de la campagne avec des poules et des vaches à lait ! Je parle de la campagne électorale. Comme par hasard, voici encore un autre rapport, commandé cette fois, tiens tiens, par le ministre de la Santé, Olivier Véran. Ce rapport, c’est celui du Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie. Il n’est pas encore officiellement remis au gouvernement mais, encore tiens tiens, il circule déjà.

Et en plus, il pointe d’autres dysfonctionnements ! Le système actuel « ne supprime pas les risques de reste à charge importants sur des soins essentiels ». Les séjours hospitaliers, par exemple. Et « ces restes à charge sont élevés pour les risques plus lourds liés à l’incapacité temporaire, l’invalidité, le décès ou encore le chômage. » Alors que la population française vieillit, ce problème n’est pas négligeable.

Autre grande critique : la généralisation des complémentaires santé favorise les dépassements d’honoraires, le fameux secteur 2, qui permet au médecin de fixer librement ses tarifs.

L’AntiÉditorial se demande donc si le gouvernement, à travers Olivier Véran, n’est pas en train de tester la première idée de campagne du pas-encore-candidat Macron. Avec ce concept tout beau, tout lisse et un peu ronflant, qui sent légèrement l’élément de langage : « la grande Sécu ».

Macron copie Mélenchon

Mais ce qui est amusant, c’est que la future idée du futur candidat Macron ressemble à la vieille idée de l’ancien candidat Mélenchon. En 2017, le leader de la France insoumise défendait la « sécurité sociale intégrale », autrement dit la prise en charge à 100 % par l’Assurance maladie, autrement dit… la grande Sécu. Selon les calculs de la France insoumise, « ce 100 % Sécu bénéficierait de ressources largement supérieures aux besoins, ce qui permettrait ainsi à l’Assurance maladie d’embaucher en son sein l’ensemble des salariés travaillant aujourd’hui pour les organismes de complémentaire santé ». Après renégociation des prix des médicaments, régulation des tarifs pour les lunettes, les soins dentaires et les prothèses auditives, et suppression des dépassements d’honoraires…

Ce parfum de campagne qui flotte sur un sujet aussi sensible, la santé, explique la force des attaques d’un candidat à la candidature de la droite. L’ancien assureur Xavier Bertrand multiplie les critiques. D’abord, dit-il, on ne ferait pas d’économies. La grande Sécu serait financée par les impôts ou par la dette publique. Mais dans un deuxième temps, devant les problèmes de financement, la grande Sécu deviendrait la petite. Elle « créerait une médecine à deux vitesses ». Car il y aurait « des déremboursements en rafale ». Les hauts salaires souscriraient alors à des assurances privées. À terme, on aurait « un modèle à l’anglaise ou à l’américaine, dans lequel les plus riches et les plus démunis ont chacun leur système de santé. »

Bertrand ajoute deux critiques. La première à destination de son électorat. « Ce serait la fin de la médecine libérale. » Car les médecins n’auraient qu’un seul interlocuteur, qui pourrait leur imposer de nouvelles règles. « Donc ils deviendraient, in fine, salariés. » Deuxième reproche de Xavier Bertrand, « ce serait l’appauvrissement du dialogue social dans les entreprises », parce qu’actuellement, le remboursement des soins est un thème fort de la négociation collective.

Soyons clairs, il s’agit de pré-campagne électorale. Autrement dit, la réforme n’est pas encore faite. D’autant que le secteur des complémentaires santé emploie 100 000 personnes.

Mais vous aurez au moins goûté le paradoxe intellectuel. D’un côté, un gouvernement de sensibilité libérale qui teste l’idée d’une Sécu plus étatisée. De l’autre, un candidat de droite qui se veut le défenseur des catégories populaires menacées par une Sécu à deux vitesses. L’époque est décidément aux chassés-croisés idéologiques !



Article publié dans Le Journal du Dimanche. (2021).

Article publié dans le magazine Challenges. (2021).

Article publié dans le journal Les Echos. (2021).

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Crédits photos : © Stéphane Grangier, © Rémi Jouan