03 mars 2022#37


La pilule va-t-elle disparaître ?



La pilule, c’est une évidence française. Mais ce mur de certitudes semble se fissurer. Pour une nouvelle génération de femmes, la « libération » apparaît plutôt comme un « enfermement ». Pourquoi et comment les mentalités des Françaises ont-elles évolué ? L’Histoire de la pilule, de Myriam Chopin et Olivier Faron, qui paraît aux éditions Passés composés, l’explique clairement.

La pilule est française  

99 % des jeunes Françaises de 15 à 17 ans sexuellement actives utilisent un moyen de contraception. Les quatre-cinquièmes des femmes y ont recours dès le début de leurs rapports sexuels.

Mais la clé, ce n’est pas la contraception en général, c’est la pilule. Ce petit médicament a cristalisé l’une des grandes révolutions de l’histoire des mentalités. La loi Neuwirth de 1967, qui l’autorise, a marqué un tournant dans la vie des Françaises. Il y a « un avant et un après ». La maternité n’est plus subie, mais choisie et planifiée. La contraception devient universelle, quelles que soient les opinions, les sensibilités ou même les convictions religieuses. Y compris donc parmi les catholiques.

Les Françaises apprécient un système facilement réversible, ce qui est le cas de la pilule. Elles le préfèrent à un contraceptif plus fiable, sans erreur d’utilisation – typiquement le stérilet. Notre système est « pilulocentré ». Les mots soulignent cette révolution des mentalités. Le terme « pilule » est désormais réservé au contraceptif oral, alors qu’autrefois il désignait toute une famille de médicaments.

Autres peuples, autres choix

Cette histoire française est aussi une exception. Contrairement à ce que l’on croit, la pilule ne fait pas la course en tête dans tous les pays. En réalité, en dehors de la France, elle ne domine guère qu’en Algérie, au Maroc et dans une moindre mesure, en Grande-Bretagne et au Brésil.

Le modèle contraceptif le plus répandu, c’est la stérilisation. C’est le cas aux États-Unis, aussi bien qu’au Mexique. Notons-le en passant : le plus souvent, comme par hasard, ce sont les femmes qu’on stérilise, pas les hommes.

Le deuxième choix contraceptif dans le monde, c’est le stérilet. Il est utilisé par une femme sur cinq. Notamment par la grande majorité des Chinoises.

Au Japon, comme en Chine, la pilule est marginale, 2 % à peine des femmes y ont recours. On privilégie le préservatif masculin. Et, le cas échéant, on a recours à l’avortement, qui nourrit une importante industrie médicale.

Un tiers pour la stérilisation, 22 % pour le stérilet, 15 % pour la pilule : la proportion mondiale n’est pas du tout celle que nous connaissons en France. Une centaine de millions de femmes prennent un contraceptif oral. Cela peut sembler déjà beaucoup, mais à l’échelle de l’humanité cela demeure, somme toute, modeste.

Libération ou contrainte ?

Il ne faut donc pas s’étonner si les auteurs de l’Histoire de la pilule, disent qu’il s’agit « d’un modèle national ». Mais ce modèle qui se veut libérateur est-il vraiment choisi. Chopin et Faron notent qu’il « façonne en profondeur les comportements intimes ». Et pour eux, surtout, « cette norme est posée, voire imposée par les autorités de santé de façon progressive et de plus en plus contraignante au XXIe siècle. »

Le mot « imposé » a un sens. Même si l’Histoire de la pilule ne va pas jusqu’à l’affirmer aussi clairement, la libération du corps des femmes est un peu une illusion. En somme, le contrôle de mentalités a changé de mains. Il est passé des autorités religieuses aux sommités de la santé publique. D’ailleurs, pour parler de la régularité avec laquelle il convient de prendre la pilule, Chopin et Faron parlent « d’observance ». Un terme qui relève plus couramment de la sociologie des religions !

Chopin et Faron rappellent aussi cette évidence assez vertigineuse : « Prendre la pilule entre 17 et 50 ans revient à ingérer 8000 comprimés pendant toute sa vie et donc à se plier à une discipline extrêmement rigide. (…) La liberté contraceptive à un prix. Son efficacité est conditionnée par un respect scrupuleux des femmes (…) de comportements codifiés. »

Les auteurs parlent même de « travail contraceptif efficace ». À l’observance, notion religieuse, s’ajoute donc celle d’efficacité, notion managériale. On est assez loin de l’idéal de 1967.

Une chose, en revanche, n’a pas changé avant et après 1967 : les hommes échappent à toute contrainte. L’imaginaire de la sexualité n’a pas varié non plus : le désir et le plaisir masculins sont prioritaires, la femme doit demeurer disponible. « Qui dit travail contraceptif féminin, dit une nouvelle forme de domination masculine. » En somme, les historiens soulignent la libération de la mère, qui maîtrise sa maternité. Mais les sociologues relativisent désormais grandement la libération de la femme. « L’arrière-plan de libération est occulté par le poids de nouvelles contraintes qui pèsent une fois de plus sur les femmes ».

Une histoire qui s’achève

Le cycle ouvert en 1967 par la loi Neuwirth est en train de s’achever. Chopin et Faron évoquent carrément « une fin de l’histoire de la pilule ». La révolution qu’elle a représentée pour une, voire deux générations successives de femmes, « semble aujourd’hui rejetée par beaucoup des utilisatrices potentielles, qui mettent en avant leurs craintes et les contraintes ».

Bien sûr, la pilule n’est absolument pas en train de disparaître. Mais elle est démythifiée, presque désacralisée. Le pourcentage des femmes françaises en âge de procréer et qui la prennent n’a cessé de progresser de 1967 à l’an 2000. Depuis vingt ans, il recule. Le préservatif tend à devenir le premier mode contraceptif des adolescentes. Les jeunes femmes ne passent à la pilule que lorsqu’elles ont une relation stable.

Le modèle français est d’ailleurs plus complexe qu’on ne le pense souvent. Il repose sur trois moyens de contraception. Pour les auteurs de l’Histoire de la pilule, « la norme française renvoie à la succession préservatif/pilule/stérilet (…). On pourrait découper de manière schématique la période féconde : 5 ans de préservatif, 15 de pilule, 10 de stérilet ».

La pilule, un danger ?

Deux autres critiques surgissent. La première souligne la dangerosité. La deuxième, met en avant l’écologie. Les deux font mouche.

La mise en cause des effets secondaires de la pilule fait l’objet de polémiques récurrentes. Elle n’est donc pas nouvelle. Mais les historiens datent très précisément le tournant décisif. En 2006, une jeune femme de 18 ans, Marion Larat, subit un AVC, puis un coma à cause de la pilule. De nombreuses opérations la laissent handicapée. Fait nouveau : son affaire est médiatisée. On est à peu près à l’époque du scandale du Mediator, et l’heure est à la mise en cause de l’industrie pharmaceutique.

En 2013, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, décide le déremboursement des pilules de troisième et quatrième génération. 2013, c’est aussi l’année où deux articles du Monde brisent un tabou sur le nombre de décès causés par la pilule et sur les liens entre certains médecins et le lobby des laboratoires. 200 femmes mourraient chaque année à cause de la pilule, notamment de thromboses ou d’AVC. Le chiffre officiel est dix fois plus faible. Pour les auteurs de l’Histoire de la pilule, « 2013 a constitué une véritable rupture dans l’histoire contraceptive française ». A noter que la polémique rebondit dans le contexte du Covid. La pilule serait plus dangereuse que le vaccin AstraZeneca.

Quant aux critiques au nom de l’écologie, elles sont de nature variée. Les médias internationaux ont abondamment souligné les rejets polluants, qui perturbent l’environnement et modifie certaines espèces animales.

Mais selon l’Histoire de la pilule, ce qui compte désormais c’est surtout « la volonté de sortir d’une espèce d’enfermement chimique angoissant. » Des jeunes femmes souhaitent se réapproprier leur corps, écouter leur rythme biologique, revenir à quelque chose de plus naturel et sans effet négatif sur la libido. C’est l’influence de l’éco-féminisme.

Car l’autre volet de cette critique écologique est formulé au nom du féminisme. « Travail contraceptif », « charge mentale » qui pèse toujours sur les femmes, désinvestissement des hommes, « asymétrie de genre » : les termes de la critique appartiennent clairement au registre du néo-féminisme.

La sociologue Janine Mossuz-Lavau avait d’ailleurs déjà souligné l’importance croissante de ces arguments écolos. Dès 2017, elle a fait le parallèle avec le rejet des vaccins. Un sujet devenu politiquement sensible depuis, en raison du Covid. La chercheuse du Cevipof comparait le rejet de la pilule avec la progression du nombre de femmes végétariennes et avec l’essor du véganisme. Pour elle, « le rejet des produits hormonaux entre parfaitement dans ce nouveau mode de vie. » Mais Janine Mossuz-Lavau ajoute que « la pilule n’est pas le seul moyen contraceptif à subir cette évolution ! Le stérilet aussi peut faire l’objet de méfiances » car il s’agit d’un corps étranger. Pour une génération de femmes qui a vu la pilule comme une révolution, cette révolution générationnelle dans la révolution sexuelle doit certainement être difficile à comprendre…



Article publié dans le magazine Le Point. (2017).

Article publié dans le journal Le Monde. (2013).

Article publié dans le quotidien Reporterre. (2017).

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Crédits photos : © Stéphane Grangier @ Tino