21 avril 2022#44


Macron, pourquoi tant de haine ?



Longtemps, la notion de « front républicain » a rendu impossible le vote pour l’extrême droite. Mais ce réflexe de barrage fonctionne de moins en moins. On constate même que désormais, le « tout sauf Macron » séduit une partie des électeurs de Valérie Pécresse ou de Jean-Luc Mélenchon, ou se superpose au « tout sauf Le Pen ».

La détestation de Macron  

Alain Faure directeur de recherche au CNRS, relève « une discordance charnelle inédite ». Selon ce spécialiste grenoblois de sciences politiques, trois reproches reviendraient de façon récurrente : « Le président est perçu comme insensible, hors sol et sans boussole. » Pour Alain Faure, « en s’additionnant, ces trois registres de critiques à l’encontre du corps mortel du roi brouillent la promesse divine du consentement au souverain. »

De plus, les petites phrases maladroites ou méprisantes du président ont certainement alimenté le rejet des électeurs de gauche. « Ces humiliations dénotent un véritable mépris social », assure la politologue Chloé Morin. Il y a un an, le quotidien Libération consacrait même sa Une à la fin du barrage républicain, suscitant à l’époque un certain émoi.

Mais est-ce si nouveau ? Le président sortant est-il personnellement en cause ? « Emmanuel Macron n’est pas plus détesté que certains de ses prédécesseurs, c’est un grand classique », assure le politologue Bruno Cautrès. Simplement « les petites phrases chocs d’Emmanuel Macron n’ont fait que durcir son image de quelqu’un dans une tour d’ivoire, difficilement accessible », poursuit-il. Prenez François Hollande, par exemple. Voici ce que note le journaliste politique Olivier Biffaud en 2018 : « Rarement un homme public, qui fut président de la République en activité et qui est devenu chef de l’État rangé des voitures, n’a suscité autant de détestation, voire de haine, de la part de certains segments de l’opinion. »

Pour Biffaud, « il est comme ça, François. Quand on le déteste, on le déteste vraiment. Sans mesure. Sans limites. Sans bornes. Sans barguigner. Pendant son quinquennat, deux catégories de personnes, à droite et à gauche, n’ont pu s’empêcher de lui tomber dessus à bras raccourcis. Lui tomber dessus est, à bien y regarder, une expression un peu faible pour décrire les tombereaux d’insultes qui se sont déversés sur lui, sans discontinuer, pendant cinq ans. »

A l’époque, une expression mi-corrézienne mi-anglo-saxonne est même née, le « Hollande bashing ».

Le tournant Sarkozy

Depuis Nicolas Sarkozy, la détestation dont le président de la République fait l’objet est devenue la norme. Pourtant, en 2011, selon Franz-Olivier Giesbert, « on a rarement vu un pouvoir autant vomi, moins pour sa politique que pour la personne de son chef, qui hystérise tout. » A l’époque, « en travaillant plus avant sur le personnage, on saisit vite que les Français ne le détestent pas parce qu’il leur ressemble, mais parce qu’il est leur caricature. C’est un coq hypermacho. Tous ceux qui ont élevé des volailles le savent : dans la basse-cour, il y a presque toujours un coq dressé sur ses ergots qui persécute les pauvres poulets. Finalement, on est obligé de le liquider. »

Mais alors, peut-on détester Sarko car il serait trop semblable à nous, et Macron pour les raisons inverses, parce qu’il ne nous ressemblerait pas assez ?

Crise institutionnelle

La détestation du président n’est donc pas une affaire personnelle, ou pas seulement. Elle est aussi, ou surtout, le reflet d’une crise existentielle. C’est en tout cas la thèse de Nicolas Sauger et Emiliano Grossman, selon qui « les origines de la crise sont à trouver dans les institutions mêmes de la Ve République. Ces institutions ne sont pas la cause de tous nos maux, mais elles amplifient cette défiance par le décalage qu’elles créent entre des attentes fortes développées pendant les campagnes électorales, et des réalisations forcément plus modestes une fois les élus au pouvoir. Par ailleurs, face à cette attente et compte-tenu de la la centralité de l’élection présidentielle, les candidats à la présidence ont tendance à exagérer leur capacité à résoudre les problèmes. » En somme, la détestation n’est qu’un amour déçu. Nicolas Sauger et Emiliano Grossman ont publié en 2017 Pourquoi détestons-nous autant nos politiques ?, aux presses de Sciences Po. Selon leur lecture, la Ve République est en quelque sorte usée, vieillie, fatiguée. Le costume jupitérien ne correspond plus aux attentes de la société, beaucoup moins verticale qu’en 1958.

Mais là encore, ne faut-il pas élargir le regard ? Est-ce seulement une crise française ? En 2006, il y a donc déjà plus de quinze ans, l’ancien conseiller de Tony Blair, Matthew Taylor avançait une explication plus globale : à l’ère de l’individu roi, les citoyens sont « de plus en plus réticents à être gouvernés mais pas encore capables de s’autogouverner ».

En somme, l’électeur européen ou américain fait une crise d’adolescence. Il se montre à la fois « exigeant » et « contradictoire » dans ses demandes. Par exemple, les citoyens veulent du durable et de l’écoresponsable, mais les consommateurs exigent des prix du carburant peu élevés, des énergies renouvelables mais pas d’éoliennes. Les parents veulent des logements abordables pour leurs enfants, mais les voisins ne veulent pas de nouveaux développements immobiliers dans leur ville ou village.

Des politiciens victimes

Si l’on suit cette théorie, la détestation n’est donc pas intrinsèque à la démocratie française, ni imputable à telle ou telle figure politique. Les politiciens n’en sont pas responsables, mais victimes. Parfois cruellement. En Grande-Bretagne, ces dernières années, deux députés ordinaires ont été assassinés : la travailliste Jo Cox en 2016, et le conservateur Sir David Amess en 2021.

Pour l’emporter au second tour, le président sortant doit donc déjouer le piège infernal de l’insatisfaction citoyenne. Mais il doit aussi surmonter ce rejet dont il est selon les uns le coupable par excellence, et selon les autres explications relevées par L’AntiÉditorial, la victime innocente. Une chose est sûre toutefois : la haine des politiques est une terrible spirale.



Grossman, E. & Sauger, N. (2017). Pourquoi détestons-nous autant nos politiques ? Presses de Sciences Po.

Article publié dans le journal La Tribune. (2022).

Article publié dans le quotidien Ouest France. (2022).

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Crédits photos : © Stéphane Grangier. Alexandre MARCHI / PHOTOPQR/L’EST REPUBLICAIN/MAXPPP. © Tino