01 juillet 2021#11


Mettez un migrant dans votre couloir

Bonjour,
Vous êtes déjà plus de 12 000 à nous lire, nous écouter, nous regarder chaque semaine, merci ! Pour ce 11e épisode de L’AntiÉditorial, je me suis intéressé aux couloirs humanitaires. Un instrument difficile à utiliser mais qui pourrait pourtant constituer une troisième voie face au problème migratoire… 



Les migrants, voilà un sujet clivant ! Tout le monde s’accorde sur deux points : c’est un problème majeur pour l’Europe, et pour les nouvelles mafias, c’est un énorme trafic. Mais passé ce double constat, on peut dire que deux camps se font face. D’un côté, ceux qui trouvent intolérable que des hommes, des femmes et des enfants se noient dans la Méditerranée. De l’autre, ceux qui nous voient submergés par des vagues migratoires de plus en plus importantes. Mais L’AntiÉditorial a repéré une idée intéressante, qui essaie de dépasser ces deux approches : ni l’Europe passoire, ni l’Europe forteresse. Ça s’appelle les couloirs humanitaires.

Qu’est-ce qu’un corridor humanitaire ?

En temps de guerre ou de conflit, les corridors humanitaires sont un instrument très difficile à utiliser, mais essentiel.

Et ce droit, ce n’est pas une invention de notre époque, liée à ce que l’on a appelé avec Bernard Kouchner le droit ou le devoir d’ingérence. Il se fonde sur le nouvel ordre international que les Alliés ont bâti après la Seconde Guerre mondiale. Il est reconnu par la quatrième convention de Genève, celle du 12 août 1949. Et plus précisément par son article 23. Pour faire simple : les convois humanitaires doivent pouvoir circuler librement dans les zones en guerre.

Quelle est la nouveauté ?

En principe, un corridor humanitaire, marche dans un seul sens. On vient d’un pays ou d’une région en paix. On traverse les barbelés. Et on apporte de la nourriture, de l’eau ou des soins d’urgence.

La première nouveauté, celle qui m’intéresse ici, consiste à circuler dans les deux sens. L’aide ne va plus seulement vers les réfugiés. Les réfugiés sont exfiltrés vers des régions d’accueil. La philosophie humaniste, universaliste, reste la même. Mais évidemment, les implications changent du tout au tout.

Deuxième nouveauté, c’est un partenariat public-privé, ou plutôt une collaboration entre des ONG et des États d’accueil. Les couloirs font l’objet d’une convention officielle. En France, la première, signée à la fin du quinquennat de François Hollande, a permis d’accueillir un peu plus de 500 personnes. Cela s’est fait en collaboration avec des États de transit, en l’occurrence la Turquie, le Liban, l’Éthiopie, la Jordanie, la Grèce et le Niger. Et vous l’ignorez peut-être, mais le protocole a été renouvelé le 12 avril dernier par le gouvernement. Le ministre de l’Intérieur, un certain Gérard Darmanin, et ses collègues des Affaires étrangères et de l’Europe ont donné leur signature. On prévoit d’accueillir 300 personnes en France durant les deux prochaines années, des Syriens ou des Irakiens actuellement réfugiés au Liban.

Troisième nouveauté, peut-être la plus importante, c’est un processus. Il commence par l’identification des réfugiés dans les zones de transit. Il se prolonge jusqu’à leur accueil par des familles françaises, leur suivi et leur intégration locale. On quitte l’action d’urgence pour entrer dans l’accompagnement de long terme, jusqu’à l’intégration effective par l’éducation et le travail. Selon les organisateurs, « continuité relationnelle » et « participation citoyenne » font l’originalité de ce programme et sont les clés de sa réussite.

Qui est derrière ?

On doit l’idée à une organisation catholique italienne, la communauté de Sant’Egidio, fondée à Rome en 1968 par un jeune lycéen, Andrea Riccardi. Elle est implantée un peu partout dans le monde, où elle remplit souvent des missions de paix ou de réconciliation. La plus célèbre s’est conclue par les accords de paix au Mozambique. Elle est engagée dans des programmes humanitaires de tous ordres, de l’Afrique à l’Europe et des malades du sida aux personnes âgées. En France, la communauté, présidée par Valérie Régnier, a fédéré sur ce projet des réseaux catholiques et protestantes.

Qu’est-ce que ça change ? 

Quantitativement, cela représente peu, mais pas tout à fait rien. Depuis la mise en place des corridors en Italie en 2015, 3 700 réfugiés, principalement syriens, ont été pris en charge dans plusieurs pays d’Europe.

En somme, notent certains observateurs, c’est du « parrainage privé de réfugiés par des citoyens français appuyés par l’État français ». Concrètement, on le sait bien, les gouvernements font face aux tensions de l’opinion publique. Et les acteurs de l’aide internationale se heurtent aux politiques sécuritaires et aux logiques gestionnaires. Alors ils s’adaptent de façon pragmatique.

Non sans effets de bord. Ces actions contribuent à définir ou à redéfinir le droit d’asile. Les ONG sont amenées à choisir quels sont les réfugiés admissibles. Quels sont, dit la sociologue Miriam Ngombe, les « désirables » et les moins désirables, pour ne pas dire les indésirables. C’est une réponse sérieuse à une question sérieuse, alors que l’infiltration d’islamistes parmi les réfugiés inquiète légitimement l’opinion publique. Du coup, le risque d’instrumentalisation des ONG, devenues des partenaires ou même des vitrines du système, existe sans doute. Mais faut-il rester les bras croisés et verser des larmes de crocodile ? Faut-il tout barricader, au mépris du droit d’asile ? Doit-on s’accrocher au choix binaire que j’évoquais au début de cet épisode ? Dilemme éthique et action pragmatique, voilà comment L’AntiÉditorial a compris les corridors humanitaires. Et voilà pourquoi c’est une idée intéressante.



Les Couloirs humanitaires – Communauté de Sant’Egidio

Ngombe, M., Les couloirs humanitaires : un régime d’exception pour gérer des réfugiés « désirables ». Cairn. (2020)

Article du journal La Croix (2018)

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Crédits photos : © Stéphane Grangier, © Pierrot75005