05 mai 2022#46


Twitter : et si Elon Musk avait encore raison ?



Le rachat de Twitter par Elon Musk suscite beaucoup d’inquiétude. Selon ses détracteurs, il pourrait ouvrir les vannes et provoquer un nouveau déferlement de désinformation en ligne et de cyber-harcèlement. De son côté, pour justifier sa petite opération à 40 milliards d’euros, l’homme le plus riche du monde ne manque ni de défenseurs ni d’arguments philosophiques… En réalité, ce qui est en jeu, ce sont deux conceptions de plus en plus irréconciliables de la liberté d’expression.

Elon Musk veut libérer Twitter 

Quels sont les raisons évoquées par Musk pour justifier son rachat de Twitter ? L’ingénieur-milliardaire juge le réseau mal géré, inefficace et en perte de vitesse. De la part de l’homme qui a révolutionné l’automobile et la conquête de l’espace, ces critiques ne sont pas à prendre à la légère.

Le milliardaire promet déjà de faire le ménage. Par exemple, il veut lutter contre les robots qui inondent les réseaux sociaux de faux profils. Et il affirme qu’il rendra Twitter plus transparent, l’algorithme du réseau devenant accessible au public (« open-source »).

Mais ici le fondateur de Tesla et de SpaceX se présente moins comme un entrepreneur que comme un simple philanthrope. L’argent, assure-t-il, n’est pas son souci. « Mon intuition forte, dit-il, c’est que le fait de disposer d’une plateforme publique suscitant la plus large confiance et largement inclusive est extrêmement important pour l’avenir de la civilisation. » Sur tous ces points, on peut le croire ou ne pas le croire. Mais une chose est sûre. Musk se définit comme un partisan radical de la liberté d’expression. « A free speech absolutist », selon ses mots. « La liberté d’expression est le fondement d’une démocratie qui fonctionne, et Twitter est la place publique numérique où sont débattues les questions vitales pour l’avenir de l’humanité », justifie encore Musk.

Qui espère, qui a peur ?

De manière générale, le rachat de Twitter par Musk suscite de l’espoir à droite et de la crainte à gauche. C’est particulièrement net aux États-Unis. Pour le dire simplement, désormais, les progressistes veulent interdire les propos jugés offensants et les conservateurs mettent l’accent sur la liberté d’expression, même pour qui défend les théories les plus invraisemblables. Liberté d’expression contre discours de haine, voilà désormais le débat.

Elon Musk affirme notamment que Truth, le réseau social fondé au printemps 2022 par l’ancien président américain Donald Trump, n’existe que parce que Twitter « a censuré la liberté d’expression ». Voilà qui risque d’alimenter les spéculations selon lesquelles Musk pourrait réintégrer Trump à la plateforme. Au nom de la liberté d’expression.

Rappelons que l’ancien président y avait été banni après l’émeute du 6 janvier au Capitole, pour avoir incité ses partisans à la violence. La perspective de son retour, à deux ans et demi de la prochaine présidentielle américaine, suscite la profonde inquiétude des démocrates et l’effervescence des réseaux trumpistes, dont de nombreux activistes ont eux aussi été bannis de Twitter.

Là encore, il est difficile de savoir à quoi s’en tenir. Car Elon Musk se contente pour l’instant de renvoyer dos à dos les extrêmes : « Pour que Twitter mérite la confiance du public, il doit être politiquement neutre. Dans les faits, cela signifie qu’il faut contrarier autant l’extrême droite que l’extrême gauche ».

Philosophie libérale

Soyons un peu fiers de nous ! De ce côté-ci de l’Atlantique, le débat est souvent plus nuancé que de l’autre. Le magazine The Economist, par exemple, partage les convictions de Musk et accueille favorablement ce rachat. Non pas au nom de liberté d’entreprendre mais au nom de la conception du débat public qui le sous-tend. Avec un argument horizontal : « Personne n’a le monopole de la sagesse. Les experts ont parfois tort et les fanfarons ont parfois raison. » Autrement dit, il ne faut pas censurer la parole sur les réseaux sociaux et il ne faut pas restreindre l’espace du débat.

Pour The Economist, « même à l’ère d’Internet, la meilleure réponse à un mauvais argument est un meilleur argument. La modération sur de nombreuses plateformes est devenue lourde et appliquée de manière arbitraire ». Le milliardaire souhaite « moins d’interdictions totales et plus de suspensions temporaires » sur les réseaux sociaux. The Economist juge « prudentes et sensées » les propositions de Musk.

Autre argument : « L’agitation » qu’a suscitée ce rachat « montre à quel point l’opinion en ligne est devenue peu libérale. » C’est la preuve que les partisans de la censure ont pris le dessus au nom de la morale, du politiquement correct ou de la cancel culture. Il faudrait donc s’inquiéter moins du rachat de Twitter que du déclin de l’attachement à la liberté d’expression. Le magazine est ici cohérent avec sa ligne libérale, au sens philosophique de ce mot.



Article publié dans le journal The New York Times. (2022).

Article publié par le média en ligne Tortoise. (2022).

Article publié dans l’hebdomadaire The Economist. (2022).

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Crédits photos : © Stéphane Grangier. © Patrick Pleul / DPA / Picture Alliance / Newscom / MaxPPP. © Tino